La sélection littéraire de RaÍ

PANARD a rencontré Raí à Paris, en pleine COP à Belém. En préambule à cette trentième conférence, il avait parcouru le fleuve Amazone sur une pirogue pendant trois jours et trois nuits, en compagnie d’Indiens et d’activistes, afin de sensibiliser aux problématiques environnementales locales.
Pour mieux cerner les engagements du champion du monde 1994, nous lui avons demandé de nous faire une sélection littéraire des œuvres qui ont façonné sa conscience.

La conversation débute par Camus, ex-gardien de but reconverti en écrivain de référence, auquel Raí rend hommage dans une tribune publiée dans Le Monde en 2021 :

« Le monde vit des cycles. Dans cette tribune dans laquelle je citais Camus, il était question de Bolsonaro. Au Brésil, on a cru que la dictature était une page tournée. Mais non, l’esprit de l’extrême droite est toujours présent. L’être humain a ce côté pervers. Le danger réside dans le fait de classer cet épisode dans le passé. Idem pour les guerres et les génocides. J’ai repris les mots de Camus, qui signifient que vigilance et attention doivent toujours être en veille et que la résistance est un acte permanent. Pour établir un parallèle avec le football, il faut privilégier le collectif à l’individualisme ambiant. Mon frère Sócrates avait réussi à conjuguer ces idées à la fois dans le sport et en politique. »

Autobiographie de Gandhi

« C’est l’engagement suprême : la force, la stratégie et la non-violence réunies. Gandhi est une de mes idoles. Sa spiritualité, sa vie, son œuvre, l’amour et les rapports humains qu’il prône représentent quelque chose de magique.

Je l’ai découvert assez jeune, au début de ma carrière. J’ai ensuite lu certains de ses livres et regardé des films et des documentaires le concernant. »

Autobiographie ou mes expériences de vérité. Mahatma Gandhi. Presses Universitaires de France.

O Povo Brasileiro, de Darcy Ribeiro

« Ce qui m’a marqué dans ce livre, c’est le travail d’ethnologie sur la culture brésilienne. Il analyse l’histoire des autochtones, une culture ancestrale qui a été éradiquée. Malgré tout, ce pays, même en période de conflits majeurs, reste une terre de métissage.

La culture africaine, par exemple, y est toujours très présente ; elle a influencé la musique, le sport, la danse… La brasilidade est un terme qui englobe toutes les cultures transmises par les communautés autochtones, européennes et asiatiques qui peuplent mon pays.

Les conquistadors ont exterminé les peuples natifs, mais, même torturé, le peuple brésilien a toujours trouvé une forme de résilience dans les rapports humains.

Ce livre m’a beaucoup éclairé sur l’histoire de mon propre peuple. Je l’ai lu quand j’avais environ vingt-cinq ans et il m’a guidé dans la création de Gol de Letra.

Dans le mien, Rémy, mon co-auteur, cite Caetano Veloso, qui chante “Le Brésil est inévitable”, une manière de dire que la chaleur humaine finit toujours par l’emporter sur le racisme et les injustices sociales. Darcy Ribeiro fut d’ailleurs persécuté, comme de nombreux scientifiques et acteurs de la vie culturelle, sous le joug des dictatures. »

O Povo Brasileiro, de Darcy Ribeiro.

Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, de Dai Sijie

« Je l’ai découvert en regardant Bouillon de culture, l’émission de Bernard Pivot. Ce fut l’une de mes premières lectures en français.

Au début, je croyais que c’était une fiction. C’est une démonstration de la manière dont les livres peuvent ouvrir les esprits et changer une vie dans une dictature comme celle de la Chine à l’époque de Mao Zedong, dans laquelle se situe le récit.

Ce livre a beaucoup nourri mon inspiration pour mon master à Sciences Po. Mon mémoire s’intitule Ludicidade, un projet que je souhaite implanter au Brésil : un lieu de discussions et d’échanges.

Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, de Dai Sijie. Gallimard

Avec mes équipes, nous cartographions les régions afin de déterminer une ville pilote où la culture deviendrait le pilier du développement humain et économique. Notre démarche politique et progressiste consiste à développer les vocations et à renforcer la démocratie. Les municipalités accueillent ce projet très positivement.

C’est aussi un livre sur la transmission. »

Le Procès, de Franz Kafka

« Ce livre a éveillé mes combats contre les injustices et la bureaucratie. Cette bureaucratie qui peut devenir un instrument d’insécurité et un artifice du pouvoir.

Même si elle est moins omniprésente qu’en Europe, on a vu à quel point elle a pu peser récemment sur la vie publique au Brésil. Kafka est un personnage très fort.

J’ai lu Le Procès, mais aussi La Métamorphose : c’est une œuvre très riche et visionnaire. Dans Le Procès, on entrevoit déjà les méthodes d’oppression et d’humiliation exercées sur le peuple par Bolsonaro lors de son accession au pouvoir.

C’était une période très difficile pour moi. »

Le Procès. Franz Kafka, Gallimard.

Le Parfum, de Patrick Süskind

Il m’a sans doute influencé pour formuler la conclusion du mien : “Je ne lâcherai rien.” »

« C’est encore un livre qui m’a marqué et que je recommande souvent. Je l’ai lu il y a longtemps, en français. La trame de ce roman m’a tenu en haleine, c’est très bien écrit. C’est aussi un livre sur une forme de résistance.

Le Parfum, de Patrick Süskind

Le Médecin malgré lui, de Molière

« Ma première lecture en français.

S’il avait été réélu, la censure aurait sans doute été appliquée de manière encore plus radicale. Molière avait déjà anticipé tout cela. Mon père, autodidacte, avide de culture et de littérature, considérait le fait que je lise Molière dans sa version originale comme un privilège. Il en tirait une grande fierté.

Ce titre m’évoque ma jeunesse. À seize ou dix-sept ans, je ne prenais pas le football très au sérieux. Mais je suis devenu père très jeune et j’ai dû signer mon premier contrat professionnel pour faire vivre ma famille. Je suis donc devenu “un footballeur malgré lui”.

Au Brésil, il existe une grande tradition d’humoristes et de satiristes. Pendant le mandat de Bolsonaro, les subventions à la culture ont été coupées. C’est souvent la première forme de censure dans les régimes totalitaires.»

J’ai ensuite beaucoup lu Molière. J’adore sa pertinence, sa fantaisie, sa créativité : c’est un univers extrêmement riche.

Le Médecin malgré lui. Molière. Gallimard

La Mort des démocraties, de Daniel Ziblatt

Pour achever cette sélection littéraire, Raí évoque enfin une lecture plus récente :

« J’ai lu La Mort des démocraties, de Daniel Ziblatt et Steven Levitsky, un livre qui nous immerge de plain-pied dans la situation mondiale actuelle.

Aujourd’hui, le grand danger, c’est l’autoritarisme qui accède au pouvoir par les fake news et les réseaux évangélistes. Des dictateurs se font élire démocratiquement. Autrefois, ils arrivaient au pouvoir par des coups d’État et des juntes militaires. »


Pour clore l’entretien, Raí glisse un mot sur la prochaine Coupe du monde :

« L’environnement est le dernier critère pris en compte dans l’organisation de cet événement. Mon engagement pour l’accès à la culture est indissociable de celui pour l’environnement. Celui-ci doit être considéré comme une priorité. »

Pascal Aznar