S’indigner de l’étalement urbain, et populariser la ville écologique

L’urbanisme qu’on a infligé à notre pays depuis le mitan du siècle dernier, est moche, climaticide, malsain, technocratique, gaspilleur et ségrégationniste. On aurait pu faire autrement, on ne l’a pas fait, il nous faut impérativement changer : commencer à réaliser des villes écologiques. C’est un enjeu de survie pour l’humanité, rien de plus, rien de moins. Bonne nouvelle : les villes écologiques sont amènes, conviviales, souhaitables, donc réalisables. Elle n’est en rien une utopie irréalisable. Il faut qu’architectes, urbanistes, philosophes, élus, citoyens engagés et, bien entendu, écologistes se bougent en sa faveur. Résumons d’abord ce dont il faut nous débarrasser : Un urbanisme …moche, c’est l’opinion d’une très large majorité. Sauf que ce disant on heurte de bonnes âmes bien intentionnées : « ne méprisez pas nos quartiers périphériques, grands ensembles et zones pavillonnaires, beaucoup de gens qui y habitent y sont attachés, ils ne trouvent rien ailleurs ». Mais justement, c’est le problème à régler : qu’ils trouvent beaucoup mieux ailleurs ou bien dans leur quartier transformé : des commerces, des services, une diversité sociale, des espaces publics sympa, des possibilités d’emplois, pas d’obligation quotidienne de parcours exténuants pour aller travailler.


… ségrégationniste, l’urbanisme de produits immobiliers a réalisé, et réalise encore, nos extensions
urbaines par accumulation-juxtaposition de zones ultraspécialisées, aussi bien pour loger, que pour accueillir entreprises et commerces. C’est sa façon la plus sûre de gagner de l’argent, ne lui jetons pas la pierre, c’est sa finalité principale, demandons-nous pourquoi on lui a servi sur un plateau le terrain de nos extensions urbaines, en dépouillant nos quartiers anciens ou plus récents de leurs commerces, emplois et services.


… climaticide, c’est la conséquence directe de l’hyperspécialisation des zones suburbaines : parcours
entre logements, travail ou courses allongés, démultipliés, chronophages et fatigants ; imperméabilisation des sols toujours permise abondamment 1  ; envahissement de l’espace public urbain par les circulations, elles aussi abusivement séparées (chacune dans son couloir) puisque trop nombreuses, au détriment des piétons et des animations urbaines. La mobilité motorisée sous ses formes diverses a été préférée à la proximité puisque la dispersion des lieux fréquentés quotidiennement ou souvent limite le recours aux circulations douces, quels que soient les efforts faits en ce sens par certaines municipalités.


… malsain : « auto-boulot-dodo », air vicié, pollutions des eaux, nourriture industrielle au lieu de
l’approvisionnement depuis les territoires agricoles proches, baisse de la biodiversité. Conséquences : fatigues, déprimes, maladies respiratoires, empoisonnements insidieux et morts prématurées, comme tous ces maux sont abondamment documentés.


… technocratique, on pourrait dire tout aussi bien anti-démocratique. Mais, fera-t-on remarquer, ce sont les maires et élus en leurs intercommunalités et municipalités qui font les plans d’urbanisme ! Sans doute mais sans réelle participation citoyenne, car on a tellement compliqué les lois, les règlements, les mesures et contre-mesures, les mesurettes et exceptions à la règle, que les gens n’y comprennent plus grand chose. On a mis dans la tête des gens, et aussi dans la tête de beaucoup d‘élus, que l’urbanisme était affaire de spécialistes. Au mieux les gens s’opposent ici ou là à une nouvelle interdiction ou construction, ou, selon les lieux : refus d’une piétonisation, ou critique de trop de circulation, ou manque de places de stationnement. Où sont les choix entre les grands enjeux quand on consulte pour les PLUI, écrits au surcroît dans un langage technique pour initiés ?


… gaspilleur et coûteux : l’étalement (anti)urbain est beaucoup plus cher, tant pour la collectivité que pour les particuliers, qu’un urbanisme de proximité et de mixité habitat-emploi-commerces-services publics. Bizarrement, on n’arrête pas, dans les media et dans les discours politiques, de nous alarmer sur le coût douloureux de la bifurcation écologique. On aligne les coûts, on devrait au contraire, concernant la ville, comptabiliser toutes les économies qui seront faites, aussi bien en investissements qu’en fonctionnement et entretien : moins de gros investissements en voirie, plus besoin, ou peu s’en faut, d’échangeurs routiers et de voies rapides urbaines, moins de parcours de collecte des déchets, des économies substantielles en dépenses de santé, moins de fabrication de voitures et même de moyens de transport en commun lourds, moins de consommations d’électricité et d’essence, etc.

Il devrait être largement admis que tous ces maux sont la conséquence de l’étalement (anti)urbain. Ce n’est pas le cas. Sans doute parce que l’éradication de ce fléau est jugée a priori irréaliste, chimérique,
inenvisageable. On serait allé trop loin en cette voie, on n’y pourrait plus rien. On oublie une chose : que
l’urbanisme se réalise dans le temps long, mais que cette durée permet et facilite une vision d’avenir : des objectifs ambitieux et désirables clairement perçus, et leur réalisation, continue, progressive, sans brutalités. La France des laides et climaticides extensions urbaines zonées s’est imposée en deux ou trois décennies, sans transition violente, lentement et inexorablement, parce qu’une mauvaise politique urbaine avait été choisie, voulue, poursuivie, et non remise en question. Les paysages de nos villes en ont été, peu à peu, radicalement changé. Le mouvement inverse est parfaitement possible, si nous en décidons. La ville écologique est une œuvre, désirée puis décidée, votée au Parlement (ou par référendum) et ensuite réalisée méthodiquement, progressivement et sûrement. Les combats d’arrière-garde ne pourront rien y changer.


En finir avec l’urbanisme climaticide et mortifère, ce n’est en aucun cas balancer des mesures punitives,
comme des surtaxes sur les carburants ou des interdictions de circuler, ce qui est contreproductif et favorise l’écolo-bashing réactionnaire. Il nous faut bien mieux : voter, pour la planète et au profit de chaque citadin, de nouvelles lois fixant un but : la réalisation de la ville écologique. Soit, en résumé : une importante diminution des contraintes de déplacements motorisés, la proximité en tous quartiers de commodités et aménités facilitant la vie, des centres urbains animés et accueillants aux animations festives ou citoyennes, des îlots résidentiels plus tranquilles, une baisse des impôts locaux (un urbanisme moins cher), beaucoup de sols de nouveau perméabilisés notamment sur le pourtour immédiat des villes redonné aux cultures, à la détente, à la nature, un air et une eau plus saine donc moins de monde dans les hôpitaux.


« La ville », si c’en est une, de l’étalement (anti)urbain a été réalisée dans le contexte d’une législation
favorable à la spéculation immobilière et défavorable à la réalisation par les élus locaux de projets de ville
basés sur des objectifs de proximité et de mixité. Le nouveau code de l’urbanisme écologique interdit
l’étalement urbain et organise le retour, dans des projets de ville et des projets de quartier 2 , des commerces, des services, des emplois que notre urbanisme climaticide a envoyé à pétaouchnoc. Les modalités de réalisation ne sont pas compliquées, il n’y a rien à inventer, simplement à planifier des opérations de renforcement des centralités urbaines et de renouvellement urbain, et ne plus imposer, au contraire, de limitations à la mixité habitat-emploi. Des négociations avec les les investisseurs, qui y auront intérêt, permettra le retour en ville d’un certain nombre d’entre eux. Les gens approuveront, le métier d’urbaniste et d’architecte deviendra plus intéressant, il y aura un renouveau de la citoyenneté. Les élus auront beaucoup plus intéressant à faire que des PLUI indigestes.

Marc HURET
Diplômé Sc. Po Paris. Ancien cadre et directeur de sociétés d’aménagement urbain (groupe CDC), puis urbaniste-programmiste conseil indépendant (1990-2013).
Auteur de « Laville écologique, pour le plaisir d’y vivre, et pour le recul du réchauffement climatique » (éditions 3 colonnes, 2025).
Deux autres ouvrages publiés chez l’Harmattan : Essai sur le pouvoir urbain (2015), Une autre ville est possible (2017).